C’était un été ordinaire dans la petite ville de Saint-Bruno, où tout semblait tourner au ralenti. Le soleil chauffait les rues pavées, et les journées s’étiraient sans fin pour Jérémie, un adolescent de 16 ans. Depuis quelques mois, il ressentait un vide grandissant en lui. À l’école, il n’excellait ni en mathématiques ni en français. Ses amis avaient des passions : certains jouaient au hockey, d’autres s’investissaient dans la musique ou les jeux vidéo. Mais lui, il n’avait jamais trouvé ce qui faisait battre son cœur plus vite.

Un jour, alors qu’il se promenait sans réel objectif dans les rues de son quartier, il remarqua une petite affiche sur le tableau d’annonces de la bibliothèque municipale : « Atelier de poterie – Venez découvrir l’art de la céramique ! ». Jérémie n’avait jamais pensé à la poterie. Pour lui, c’était quelque chose de vieux, de poussiéreux, un peu ennuyeux même. Mais n’ayant rien d’autre à faire ce jour-là, il décida d’aller voir. Après tout, pourquoi pas ?

L’atelier se déroulait dans un petit studio niché derrière la bibliothèque, un espace lumineux rempli d’étagères de poteries inachevées et de grandes tables couvertes d’outils mystérieux. À l’entrée, une femme d’une quarantaine d’années, aux cheveux courts et poivre et sel, l’accueillit avec un large sourire. « Bonjour ! Je suis Sophie, la céramiste qui anime cet atelier. Installe-toi, prends un bloc d’argile et laisse ton imagination faire le reste. » Sans trop savoir où il s’aventurait, Jérémie se laissa guider.

Les premières heures furent maladroites. L’argile glissait entre ses doigts, ses tentatives de créer quelque chose de présentable étaient vouées à l’échec. Mais malgré la frustration, quelque chose en lui changeait. Il se rendit compte que, pour la première fois depuis longtemps, il se concentrait totalement sur une tâche. Chaque geste, chaque pression sur l’argile le captivaient. Ce n’était pas seulement l’envie de réussir qui l’animait, mais un sentiment nouveau : celui de créer quelque chose de ses propres mains.

Après l’atelier, Sophie s’approcha de lui. « C’est normal de ne pas réussir du premier coup. L’important, c’est de persévérer. La poterie, c’est une question de patience et de pratique. Reviens demain si tu veux, je suis sûre que tu as du potentiel. » Encouragé par ses paroles, Jérémie décida de revenir. Ce simple geste allait marquer le début de son voyage vers une nouvelle passion.

Les semaines passèrent, et Jérémie se retrouva à l’atelier presque tous les jours. Chaque session lui permettait d’apprendre un peu plus. Sophie lui enseigna les techniques de base : centrer l’argile sur le tour, façonner des bols, des vases, des tasses. Au début, ses créations étaient bancales, imparfaites, mais il ne se laissa pas décourager. Il passait des heures à perfectionner ses gestes, à observer Sophie et les autres élèves, à poser des questions.

En parallèle, Jérémie commença à s’intéresser à l’histoire de la poterie. Il emprunta des livres à la bibliothèque sur les céramiques anciennes, l’art japonais du raku, et les poteries des Premières Nations. L’idée que des civilisations entières avaient exprimé leur culture à travers cet art millénaire le fascinait. Il voyait désormais la poterie sous un nouveau jour, non plus comme un simple passe-temps, mais comme un moyen de raconter une histoire, de laisser une trace.

Avec le temps, Jérémie devint plus confiant. Il commença à expérimenter, à créer des pièces plus audacieuses, à mélanger les techniques traditionnelles avec des approches plus modernes. Ses pièces devinrent de plus en plus raffinées, et Sophie, toujours bienveillante, lui donna des conseils pour affiner son style. « Tu as vraiment trouvé ta voie, Jérémie. Ton travail est original, tu devrais penser à exposer. »

Cette idée de montrer ses créations à un public le terrifiait au début. Mais en même temps, il sentait au fond de lui que c’était la prochaine étape logique. Encouragé par Sophie, il décida de participer à une petite exposition d’artisans locaux organisée dans le cadre du festival d’été de Saint-Bruno.

Le jour de l’exposition, Jérémie installa ses pièces avec soin sur une table. Il n’attendait pas grand-chose de cet événement, si ce n’est de partager sa passion avec quelques curieux. Mais à sa grande surprise, ses créations attirèrent rapidement l’attention. Les visiteurs s’émerveillaient devant ses vases aux formes délicates et aux motifs inspirés des cultures autochtones et japonaises. Un collectionneur d’art local, impressionné par la qualité et l’originalité de son travail, lui proposa même d’exposer dans sa galerie à Montréal.

Cette proposition marqua un tournant pour Jérémie. Ce n’était plus seulement un hobby, c’était devenu une véritable vocation. Il accepta l’invitation du collectionneur et travailla d’arrache-pied pour préparer sa première véritable exposition. Chaque pièce qu’il créait racontait une histoire : celle de son parcours, de ses échecs, de ses réussites, mais aussi des influences culturelles qui l’avaient inspiré.

L’exposition à Montréal fut un succès. Des critiques d’art soulignèrent la maturité de son travail malgré son jeune âge, et bientôt, des articles parurent dans les journaux locaux. De fil en aiguille, Jérémie devint une figure montante du monde de la céramique contemporaine au Québec. Il continua d’apprendre, en suivant des formations auprès de maîtres céramistes, mais aussi en enseignant à son tour aux jeunes qui, comme lui autrefois, cherchaient leur voie.

Aujourd’hui, Jérémie est reconnu non seulement pour son talent, mais aussi pour sa capacité à transmettre sa passion. Ses œuvres sont exposées dans des galeries à travers le Canada, et il anime régulièrement des ateliers pour partager son savoir. Mais au-delà de la renommée, ce qui compte le plus pour lui, c’est de savoir qu’il a trouvé ce qui le fait vibrer, ce qui donne un sens à sa vie.

Il n’aurait jamais imaginé que tout cela commencerait par un simple atelier de poterie un jour d’été. Mais cette décision, aussi anodine qu’elle semblait à l’époque, a transformé sa vie. Jérémie aime dire à ceux qui lui demandent comment il en est arrivé là : « La clé, c’est de se lancer, même quand on ne sait pas où ça nous mènera. Parfois, c’est en suivant un chemin inattendu qu’on découvre sa véritable passion. »